A 3 ans, j'ai reçu
ma première Barbie en cadeau de noël. Avec mes deux sœurs, nous
nous prîmes alors de passion pour la belle blonde et notre
collection s'agrandit au fur et à mesure des années, totalisant
plus d'une quarantaine de poupées Barbie à son apogée.
A 8 ans, un camarade
de classe m'a dis «Fais comme Barbie, sois belle et tais toi »,
je me souviens avoir pris cela comme un compliment car après tout il
venait de me dire que j'étais belle.
A 17 ans, j'ai
insisté pour jouer Barbie dans la pièce de mon lycée Alice et
autres merveilles de Fabrice
Melchiot, voulant incarner celle que j'avais toujours admiré.
Et
entre temps, j'ai entendu des dizaines et des dizaines de remarques,
concernant la blondeur et mes longs cheveux, mon rouge à lèvres
trop rose, mes bonnes notes qui n'étaient pas en adéquation avec
mon apparence. Une fois de plus, l'imaginaire collectif associe
blondeur et bêtise, maquillage et pauvreté d'esprit.
Et si toutes ses réactions
avaient été conditionnées dès notre plus jeune âge, grâce (ou
plutôt à cause) de la Poupée Barbie?
Si
la poupée née en 1959 n'avait pas existé, aurait-je entendu toutes
ses réflexions ?
Le rose serait-il toujours ma couleur
préférée omniprésente dans ma vie (de mon ordinateur à ma
chambre en passant par mes ongles) ?
Porterais-je du maquillage
quotidiennement si je n'avais pas tenu en main la poupée Mattel ?
Et si ce conditionnement n'avait rien d'innocent mais était plutôt
le symbole d'une industrie bien menée où l'on continue à apprendre
aux petites filles d'être douce et jolie ?
Le phénomène Barbie est du à un marketing savamment
orchestré, et une image bien définie. La poupée « type »
à les yeux bleus, les cheveux
blonds, une poitrine généreuse et surtout une taille de guêpe.
Cette image de la « femme parfaite » continue encore de
faire rêver les fillettes: près de 90% des petites Françaises en
possèdent au moins une.
Quelle
petite fille n'a jamais rêvé de ressembler à celle qu'elle tenait
dans les mains ? D'avoir sa taille, sa poitrine ? De se
projeter, de s'imaginer être comme elle, une fois adulte ?
Néanmoins,
la petite fille que j'étais, n'aurait probablement pas envie de
ressembler à Barbie si elle savait que ces mensurations sont
irréelles, si on lui avait dit que son corps n'était pas un modèle
à avoir, puisqu'il ne pouvait être obtenu.
Une infographie mettant en valeur les proportions irréalistes de
Barbie, nous apprend que
son cou trop
fin lui empêcherait de tenir sa tête
sa taille trop
étroite ne permettrait pas de loger tous ses organes
ses jambes sont
50% plus longues que ses bras (contre 20% pour une femme normale) et
trop fines
ses poignets
trop frêles ne lui permettraient pas de soulever quoi que ce soit
ses pieds, trop
petits, la forceraient à marcher à quatre pattes.
Ainsi si Barbie
existait elle serait à l'opposé du modèle de beauté, ce sera une
femme malade, souffrant d'anorexie, constamment hospitalisée.
Des chercheurs
anglo-saxons ont souhaités observer l'impact de Barbie, ils ont donc exposé des petites filles à des images de
Barbie, à des images neutres, mais aussi à des images d'une poupée
d'une firme concurrente, " Emme", qui à la particularité
de posséder des mensurations réalistes. Ils ont donc confectionné
des livres d'images selon les trois angles, qu'ils ont donné à 150
petites filles, pendant qu'ils leur lisaient l'histoire
correspondante (la même dans les trois livres) : une jeune
femme qui va acheter une robe afin d'aller à un anniversaire. Puis
ils leur ont proposé un questionnaire sur l'image qu'elles avaient
d'elles. Ainsi, ils ont constaté que les filles exposées aux images
de Barbie pendant l'histoire avaient par la suite une plus mauvaise
image de leur corps, et souhaitaient globalement être plus minces
que les autres à l'âge adulte. Un effet que l'on ne retrouvait pas
avec les images neutres, ni avec celle des poupées plus rondes.
Cependant, les filles les plus âgées semblaient moins sujettes à
l'influence de Barbie,le conditionnement a opéré chez les plus
petites
seulement.
Ce
culte de la perfection crée un mal-être chez la petite fille, qui
se questionne non pas sur son être mais sur son paraître.
L’hyper-sexualisation est un phénomène alarmant, de nos jours, il
n'est pas rare de voir des fillettes de 9 ans aller à l'école avec
du gloss, et des mini-jupes. On ne peut nier la dimension mythique de Barbie, l’icône demeure un modèle pour les petites
filles. Exerçant chez le commun des mortels à la fois admiration et
répulsion.
Barbie reste une
représentation disproportionnée de la femme qui offre à
l'imagination des enfants une idée déformée de ce qu'est un corps
adulte.
Néanmoins, depuis son début de carrière
, Barbie a exercé plus de
150 métiers
dans tous les pays. En 1959, le travail de Barbie
se résumait au mannequinat. Un
an plus tard, elle devint chanteuse et créatrice de mode. Deux ans
plus tard, on pouvait acheter une Barbie ballerine, infirmière ou
encore hôtesse de l’air chez American Airlines.
Forte
heureusement, depuis cette période où les jobs qu’on
lui attribuait nourrissaient les clichés genrés, Barbie a pu
devenir chirurgienne, femme d’affaire, officier de l’armée,
productrice ou encore candidate à des élections.
Depuis quelques années la marque essaye de redorer son image avec
des campagnes de publicité comme «Imagine The Possibilities »
(2015), le message diffusé est « you can be anything »
(vous pouvez être ce que vous voulez), la vidéo commence avec cette
interrogation «
Que se passe-t-il quand les fillettes sont libres d'imaginer
qu'elles peuvent être ce qu'elles veulent ? »
A première vue, les intentions de cette publicité sont
nobles, on explique aux petites filles qu'elles peuvent être ce
qu'elles désirent. Cependant, le poids de l’idéologie dominante
et de la tradition perdure puisque Barbie exerce malgré tout des
métiers en accord avec la construction sociale du genre. En effet,
la jeune femme n’est pas représentée comme une future policière
ou plombière, elle occupe des postes tels que femme d’affaires ou
guide de musée, ce qui ne contribue pas particulièrement à
remettre en cause la norme, encore moins à la dépasser. Encore une
fois, Mattel ne revient pas sur les stéréotypes, au contraire la
marque continue d'entrenir un modèle d’éducation genré au sein
duquel les univers enfantins sont cloisonnés entre filles et
garçons, de même que les choix pour leur identité et pour leur
avenir.
Ainsi, derrière la vision édulcorée de l’avenir que
Barbie promeut aux petites filles se cachent un autre problème, la
sous représentation des minorités. Dans la vidéo, les fillettes
sont toutes dans la norme, on leur promet qu'elles peuvent devenir ce
qu'elles veulent, pourtant il n'y a pas de « grosses »,
de noires, ou d'handicapées. Les petites filles correspondent elles
aussi à « l'idéal Barbie », une personne jolie et sans
défaut physique.
Mattel essaye tant bien que mal de donner une nouvelle
image à sa poupée fétiche, mais la marque échoue. La volonté est
ruinée par la continuelle représentation de mettre en scène l'idée
qu'ils se font du beau. Il serait en effet impensable de
commercialiser une Barbie avec des défauts, avec des dents de
travers ou un nez proéminent.
En me rendant dans les rayons des magasins de jouets,
j'ai pu constater la non-diversité des métiers représentés,
Barbie à beau avoir eu une multitude d'emplois, Barbie Rock Star, ou
Barbie Baby-sitter demeurent les best-sellers. Aucune trace de Barbie
chirurgienne...
De plus, en regardant la liste des métiers exercés,
nous pouvons constater que la plupart sont qualifiable de
« féminins », il n'y a pas de bouchère ou de
mécanicienne. Ainsi, « tu peux être ce que tu veux »,
seulement si ce que tu désires est assez féminin et suffisamment
vendeur de rêve pour être commercialiser.
Enfin,
Barbie, malgré les efforts qui semblent être fait, un
produit de marketing genré, discriminant et sexiste. Tout d'abord,
l'omniprésence du rose continue de cloisonner la poupée Barbie l'a
destinant encore et toujours aux fillettes. Il a été prouvé que les enfants s'identifiaient aux jouets
qu'ils possédaient. Comment une petite fille noire, arabe ou
asiatique peut-elle se reconnaître dans une Barbie blonde ?
Elle aura tendance à penser que si sa beauté n'est pas représentée,
c'est parce qu'elle ne mérite pas de l'être. Ainsi, une jeune femme
noire, qui a grandi au milieu de Barbie Blonde aux yeux bleus, a
exprimé son malaise dans son blog, se souvenant que petite, elle ne
dessinait jamais de personnages noirs, pas assez beaux à ses yeux,
jusqu'au jour où son père a insisté pour dessiner avec elle et a
choisi de représenter une Barbie noire. A partir de ce jour, elle
s'est mise à considérer la beauté noire, ce qu'elle n'avait
jusqu'alors jamais envisagé. Laisser jouer des fillettes avec des
Barbies peut avoir des conséquences désastreuses si les parents, ou
l'entourage social ne leur explique pas, que Barbie n'est pas la
représentation de la réalité. Barbie n'est pas un jouet diabolique
en soi, mais peut le devenir très rapidement.
Barbie est également un produit inégalitaire. Savez-vous qu’une Barbie vétérinaire coûte environ 10 euros
plus cher qu’une Barbie fée?
En cause, le « Barbie Paradox », énoncé
par l'économiste Matthew J. Notowidigdo :
« Les gens aux
revenus élevés dépenseront davantage pour une Barbie. En partant
de ce constat, les distributeurs, de leur côté, baseront le prix
des Barbie sur le revenu des clients. Les Barbie les plus chères
sont en général celles qui occupent un poste avec des revenus
élevés : docteur, ingénieure en informatique [...].Dans mes
yeux de néophyte, Barbie docteur et Barbie magicienne étaient les
mêmes. La seule chose, c’est que vous payez un bonus de dix euros
pour éviter que votre enfant aspire à une carrière dans la
magie. ». Ainsi,
les fillettes s’identifieraient et aspireraient à imiter les
poupées, à partir de ce constat il va de soi, qu'un parent
préférera mettre plus d'argent dans le jouet.
Malgré des mesures prises depuis quelques années pour faire évoluer
l'image de la marque, Barbie demeure dans l'imaginaire collectif,
cette jeune femme à la plastique parfaite mais à l'intérieur
creux. Certes, Barbie est moins populaire qu'avant, détrônée par
les tablettes tactiles mais elle demeure un symbole. Rares sont les
jeunes femmes à n'y avoir jamais joué.
Certes, Barbie crée des
inégalités, conditionnant les enfants, mais Barbie permet aussi de
développer l'imagination.
Certes Barbie est un jouet genré, mais ce
n'est pas à cause de la Barbie en elle-même mais du choix des
parents qui souvent refusent d'acheter à leur fils des poupées par
peur de le féminiser !
Postscriptum: Cet article me tenait à cœur car j'ai longtemps idolâtrer
celle que je croyais connaître, pour ensuite la rejeter en la
diabolisant. Il a été réalisé à l'occasion d'un travail sur le genre et
la sexualité, cet écrit est le condensé de mes recherches (le publier en
intégralité me semblait rébarbatif...). J'ai conscience qu'il demeure
assez long, et m'en excuse mais en supprimer d'avantage n'aurait pas
transmis ce que je voulais partager.
L.